5 septembre 2022

Assemblée du COE à Karlsruhe

Le billet du jour

Christian Albecker nous envoie ses impressions depuis l’Assemblée à Karlsruhe

Mercredi 7 septembre 2022
Le billet du jour

Depuis hier mardi, l’Assemblée est entrée dans une phase décisionnelle, dans les séances plénières dites « administratives ». Ainsi avons-nous élu hier les 8 vice-présidents des régions qui couvrent la planète et les 150 membres du Comité central, l’organe exécutif du COE. De manière générale, ces processus décisionnels ne sont pas très satisfaisants, dans la mesure où ils consistent pratiquement à valider le travail préparatoire des commissions en amont. Personne n’en conteste la qualité, mais les possibilités d’amendements et de débats sont forcément limités, avec près de 600 délégués qui ont théoriquement voix au chapitre. La CPLR a proposé la candidature du Pr Marc Boss, enseignant à l’IPT à Paris, qui a été élu. Le COE, à la différence de la FLM, n’a pas de politique de quotas contraignante. C’est ainsi que les laïcs sont passés de 32 à 23 % dans le nouveau Comité central, et il n’y a aucun laïc parmi les 8 vice-président(e)s … L’archevêque d’Upsala Antje Jackelen a dénoncé cette cléricalisation, mais sans effet… La part des femmes reste stable à 40 %, et celle des jeunes à 13 %.

L’impression de contrainte est encore plus forte depuis que nous examinons les textes « politiques ». Cinq principaux documents sont en débat : un message général aux Églises (tellement général qu’il a été voté pratiquement sans discussion…), et quatre textes sur « La guerre en Ukraine, la paix et la justice en Europe », « Une planète vivante – en quête d’une communauté mondiale juste et durable », « Les choses qui contribuent à la paix – Mener le monde à la réconciliation et à l’unité » et enfin « À la recherche de la justice et de la paix pour tous au Moyen-Orient ». Les prises de parole sont limitées à deux minutes, voire une minute en fin de séance, ce qui suscite frustration et irritation.

 

Le texte sur l’Ukraine a donné lieu à des « passes d’arme » entre Ukrainiens et Russes, ces derniers reprochant au document d’être l’expression de la désinformation ukrainienne… Sur le Moyen-Orient, le débat se cristallise sur la mention du mot « apartheid » à propos de la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens. Le texte propose simplement de demander au Comité central d’étudier avec Amnesty International et Human Rights Watch dans quelle mesure ce concept peut être légitimement employé. L’EKD allemande a d’ores et déjà annoncé qu’elle ne voterait pas un texte où le mot figure…

La déclaration sur la justice climatique rappelle avec force le désastre écologique en cours et appelle à l’action, en invitant les Églises membres à faire pression sur leurs gouvernements, notamment par l’outil de l’impôt (taxe carbone, taxe Zachée sur les grandes fortunes, …). Il met en garde sur le risque que la transition écologique se traduise à nouveau par une exploitation du tiers monde où se trouvent beaucoup des ressources nécessaires à l’« économie verte ». Le texte sur la paix est sans doute le plus profilé, car il dénonce l’industrie des armements qui alimente de nombreux conflits dans le monde et pointe le risque nucléaire, ce qui n’avait plus été fait depuis longtemps.

Il y a pour l’adoption de ces textes un vrai problème de méthode et d’organisation : toutes les matinées sont consacrées à des plénières thématiques, qui sont souvent des séances-spectacles où l’on accueille des stars œcuméniques (l’archevêque de Canterbury, le prieur de Taizé, …) et des débats mis en scène avec danses, chants, vidéos, … Cela est sans doute stimulant pour les innombrables participants à l’assemblée, mais les délégués ne disposent que de 15 à 18h, pause-café comprise, pour débattre de textes dont certains sont longs comme des jours sans pain…

La richesse de l’assemblée reste celle de l’incroyable diversité de personnes, d’Églises, de cultures qui se croisent ici, dans un réel esprit d’ouverture. Un phénomène nouveau est la forte représentation des Églises pentecôtistes, qui entrent dans la dynamique œcuménique, au moins au niveau de leurs organes fédératifs. Le temps où les « œcuméniques » étaient diabolisés par les évangéliques et les pentecôtistes semble révolu. On a le sentiment que la situation de crise mondiale, avec une interpénétration complexe des problématiques climatiques, des replis nationalistes et des poussées guerrières, encourage les Églises chrétiennes à dépasser leurs séparations historiques.

L’assemblée s’achèvera ce jeudi à midi. Nul ne saura avant longtemps ce que cette étape du pèlerinage des Églises pour la justice et la paix aura apporté de décisif. Il restera des textes que les Églises membres pourront s’approprier, et il restera surtout ces innombrables rencontres qui tissent un réseau de fraternité à travers le monde.

 

Lundi 5 septembre
Le billet du jour

L’assemblée est maintenant entrée dans son rythme de croisière. Après la prière du matin, les journées sont rythmées pas les séances plénières thématiques, puis par des études bibliques ou groupes de discussion sur le texte biblique du jour. L’après-midi est consacrée à des séances plénières dites « administratives » (renouvellement du Comité central, …), puis par des groupes de « conversation œcuménique ».

La plénière thématique de vendredi a été consacrée à l’Europe, en particulier à la situation en Ukraine et la question des réfugiés et migrants. Sujet difficile abordé par plusieurs représentants de l’Église orthodoxe d’Ukraine, mais aussi, sur la question migratoire, par des délégués des Églises de Grèce et d’Italie. Une photo-choc a touché les participants : celle d’un toboggan d’un jardin d’enfants ukrainien transpercé de balles. Le texte du jour était Luc 10, 25-37 : la parabole du bon samaritain. Ce choix pouvait suggérer que le rôle des Églises était de « faire l’ambulance » : guérir et panser les plaies fait en effet partie de leur vocation, mais la présidente de « Brot für die Welt » Dagmar Pruin a insisté sur le fait que les Églises devaient aussi contribuer à arrêter les voleurs et à les mettre en jugement, pour les empêcher de nuire à nouveau…

La plénière thématique de ce lundi 5 septembre a été consacrée au thème « Affirmer la plénitude de la vie » sur la base de Jean 9,1-12 (la guérison de l’aveugle). L’espérance d’une création renouvelée a été affirmée par des représentants de Nouvelle-Zélande, d’Inde, du Panama et d’Ouganda, ainsi que par le secrétaire général d’ACT-Alliance. Il s’agissait en particulier d’être à l’écoute des interpellations des peuples autochtones, pour les conséquences économiques, environnementales et culturelles de l’exploitation de ces pays par les excès de l’économie néo-libérale. Un groupe de danseurs du Pacifique a animé cette séance.

Ces débats ne règlent pas les problèmes planétaires qu’ils abordent. Mais c’est le rôle spécifique du COE d’être cette plateforme de rencontre et de dialogue qui permet de confronter les points de vue et d’enrichir la compréhension de la situation par les participants. Il importe évidemment aussi de relayer les positions du COE dans la sphère politique, ce que celui-ci fait en particulier auprès de l’ONU.

Ce rôle de plateforme a été bien thématisé par le culte enregistré dimanche par ZDF dans la Friedenskirche de Karlsruhe : dans la maison commune décrite par Éphésiens 2, nous habitons des chambres confessionnelles différentes, mais nous nous rejoignons autour de la table commune pour la rencontre et le dialogue. Rita Famos, présidente de l’Église réformée suisse et moi-même avons ainsi souligné dans nos brefs messages la vocation œcuménique de construction de la maison commune, qui s’adresse aussi à toute personne de bonne volonté.

Friedenskirche de Karlsruhe

de droite à gauche : le maire de Karlsruhe Frank Mentrup, l'évêque Petra Bosse-Huber de l'EKD, la pasteure Rita Famos, présidente de l'Eglise réformée suisse et Christian Albecker, président de l'UEPAL

Samedi et dimanche se sont déroulées les visites dans les régions frontalières : Alsace, Bade, Palatinat, Suisse du nord-ouest. La journée de dimanche s’est achevée par le programme culturel préparé par les Églises régionales co-invitantes sur le thème « Niemand soll verlorengehen – Brücken bauen. Versöhnung leben“ (Personne ne doit se perdre – Construire des ponts. Vivre la réconciliation). Sur une proposition du pasteur Sören Lenz, a été présenté un remarquable spectacle, montrant que les profondes déchirures entre nos pays et nos régions ont pu être surmontées : signe d’espérance pour tous les pays du monde en guerre ou en tension !

Jeudi 1er septembre
Premières impressions

Entrer dans une assemblée de plus de 3000 personnes, dans tous les sens du terme, n’est pas facile. Le premier jour a commencé par une triple et interminable queue pour pénétrer dans l’enceinte autour du « Kongresszentrum » : une pour l’accréditation (le sésame qui vous permet d’accéder à toutes les rencontres, repas, transports en commun, …), une seconde pour percevoir son paquetage… (le sac contenant de très nombreux et lourds documents et l’incontournable éco-cup !) et la troisième pour les contrôles de sécurité. Mais toutes ces attentes ont déjà été l’occasion de faire connaissance et d’échanger avec les participants du monde entier !

Donc, nous y sommes, et l’ambiance est d’emblée chaleureuse et conviviale. Beaucoup de personnes se connaissent à travers les nombreuses instances de coopération ecclésiale et sont heureuses de se retrouver, d’autres font connaissance et découvrent les mille facettes de l’Église universelle. La première journée a été dédiée à des sessions plénières formelles : validation de l’ordre du jour, rapport de la présidente du Comité exécutif, remarquable rapport du secrétaire général Ioan Sauca, direct, sans langue de bois, et tout en finesse. L’après-midi a été en grande partie consacrée à l’accueil et aux discours du président de la République Frank-Walter Steinmeier et du ministre-président du Bade Wurtemberg Wilfried Kretschmann.

Et nous voilà plongés directement dans les enjeux politiques de l’assemblée : la guerre en Ukraine et le conflit israélo-palestinien. Sur le premier sujet, nous avons été quelques-uns à trouver excessive la triple insistance, applaudissements de la salle à l’appui, sur la présence de la délégation ukrainienne, autorisée exceptionnellement à quitter le pays. Le hasard veut que derrière la délégation de l’UEPAL est assise la délégation du patriarcat orthodoxe de Moscou… Ambiance ! Leur présence est courageuse, et une parole bienveillante à leur égard aurait été la bienvenue. Car c’est la logique même du COE d’être une plateforme d’échange et de dialogue au-delà de nos divisions et désaccords. Cela ne va pas changer le cours de la guerre, mais les échanges qui auront lieu ici permettront de préparer la réconciliation, une fois la guerre terminée. C’est bien la raison pour laquelle on a choisi Karlsruhe pour la tenue de l’assemblée, lieu symbolique proche du Rhin où les « ennemis héréditaires » allemands et français ont trouvé le chemin de la réconciliation après de terribles conflits.

La question israélo-palestinienne a également été abordée de plain-pied avec l’intervention d’une invitée juive représentant le conseil juif du Bade-Wurtemberg : discours très critique à l’égard du COE soupçonné de soutenir unilatéralement la cause palestinienne, éloge d’Israël, seul État démocratique du Proche-Orient, confusion entre critique d’Israël et antisémitisme. Gageons que ces thèmes politiques vont encore occuper largement les débats.

Ce 1er septembre est le premier jour du mois de la création, instauré il y a une dizaine d’années à l’instigation des Églises orthodoxes et du patriarche œcuménique Bartholomée. Les célébrations qui encadrent cette journée et la séance plénière du matin ont été placées sous le thème de la création et de la nécessaire conversion de nos comportements collectifs et individuels pour faire face à la crise climatique. Deux excellentes contributions orthodoxes ont permis de rappeler les bases théologiques de cette invitation à un changement radical.

Mon impression générale, qui contredit l’opinion que j’en avais, est que le climat œcuménique, en tous cas tel qu’il est vécu dans cette assemblée, est plutôt en progrès. Les crises successives que nous vivons (pandémie, guerre, dégradation climatique, …) y contribuent sans doute, et on a le sentiment que toutes les Églises se reconnaissent comme expression légitime de l’unique Église du Christ. Peut-être même l’Église catholique s’exprimant par la voix du cardinal Kurt Koch, président de la commission pontificale pour l’unité des chrétiens, qui a lu à l’assemblée une lettre très fraternelle du Pape François. Nous vivons dans l’espérance !

Christian Albecker

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  • Voir ou revoir le culte télévisé du dimanche 4 septembre depuis la Friedenskirche de Karlsruhe :

    Un culte célébré avec la pasteure du lieu Catharina Covolo, Rita Famos, présidente de l’Église évangélique réformée de Suisse et Christian Albecker, président de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine.
    La Friedenskirche de Karlsruhe, qui a accueilli le culte, fait partie des « églises de secours » construites après la Seconde Guerre mondiale à l’initiative du COE et financées par des dons internationaux.

© UEPAL / Christian Albecker