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L'auteur Pierre Magne de la Croix

Pasteur, vice-président de l'UEPAL, président de l'Église protestante réformée d'Alsace et de Lorraine

Thème de la réflexion : Interreligieux

L’attaque du Hamas en Israël

J’ai du mal à trouver les mots, et pourtant…

Il y a un temps pour chaque chose.

Les 7 & 8 octobre 2023 sont pour moi d’abord un temps de sidération, où les mots manquent. Dans un premier temps, c’est exprimer notre condamnation des actes terroristes du Hamas et aussi notre compassion envers les familles et les proches des victimes, envers les otages, leurs familles, leurs proches, là-bas et ici, envers les Juifs d’Alsace-Moselle. C’est notre humanité profonde qui est atteinte. Les mots manquent.

 

Il y a un temps pour chaque chose.

Les mots manquent aussi pour dire l’à venir. Ayant été étudiant en 1987-1988 en Israël et Palestine, durant le temps de la 1ère intifada, j’avais mis beaucoup d’espoir dans les accords d’Oslo du 13 septembre 1993. Aujourd’hui, devant l’évolution de la situation, je suis plutôt pessimiste. Le fait que je cite ce passé, ne serait-ce pas une manière de continuer à voir autre chose que du noir ? Lors d’une rencontre lundi soir, une personne a « cité » le monument aux morts de la place de la République de Strasbourg : une mère, symbolisant l’Alsace, tenant sur ses genoux ses deux enfants mourants, ne portant plus d’uniformes pour les distinguer. Quand on est dans le tunnel, on essaie de distinguer la lumière au loin ! Mais est-ce le juste temps de cela ?

 

Il y a un temps pour chaque chose.

Depuis, en France, il y a eu l’assassinat de Dominique Bernard. Au-delà de l’acte terroriste, c’est aussi et surtout un enseignant qui a été assassiné, chargé d’éduquer, de faire grandir, de transmettre le vivre ensemble, respectueux de notre humanité dans un même pays. Tuer un enseignant, c’est aussi vouloir abattre le savoir, la connaissance, l’esprit critique, la culture, les lumières.

Lundi soir, lors de cette même réunion d’acteurs éducatifs, sociaux, culturels à la mairie, régnaient deux sentiments :

  • un découragement, un ras-le-bol comme si des décennies de travail, d’engagements, d’actions pour notre « vivre ensemble dans le respect et la diversité républicaine » ne servaient à rien
  • mais aussi une conviction, je dirais : une « croyance » chevillée aux tripes, que ces actions, ces engagements sont et restent indispensables, fondamentaux, essentiels.

 

Il y a un temps pour chaque chose.

Les mots manquent, et c’est aussi avec le récit de Caïn et Abel que je terminerai par oser des mots. La haine s’emparant de Caïn, Dieu lui dit : « Attention, sache te relever, sinon le péché est comme un monstre tapi à ta porte». Le texte relate cette scène de manière énigmatique, puisqu’il est écrit que « Caïn dit à Abel, se leva et le tua ». La rabbine Delphine Horvilleur (Le Monde 14 octobre 2023) écrit que dans ce récit :

…un mot semble manquer – comme si, finalement, Caïn n’avait pas réussi à parler à Abel. C’est parce qu’il n’a rien dit du tout que Caïn s’est levé et a tué son frère : la violence prend le relais d’une parole impossible. Lorsque Abel est assassiné, il est dit que « son sang crie des profondeurs de la Terre ». Il crie pour Abel et pour ses descendants qui ne naîtront pas, pour toutes ces vies assassinées. Et alors Dieu se tourne vers Caïn et lui demande : « Qu’as-tu fait ? ». L’assassin répond d’une phrase mythique : « Suis-je le gardien de mon frère ? »

Cette question, aujourd’hui, n’est pas adressée à Caïn. Elle est adressée à chacun d’entre nous, juifs, non-juifs, Israéliens, Palestiniens, chrétiens, frères et sœurs en humanité tout simplement. Nous qui voyons ces images d’extrême violence, quelle que soit notre proximité vis-à-vis d’un camp ou un autre, saurons-nous être les gardiens de nos frères ? Cette histoire biblique, aujourd’hui, hurle à nos oreilles comme la mort d’Abel.

 

Pasteur Pierre Magne de la Croix

 

La Conférence des responsables de culte en France regroupe des représentants des Églises chrétiennes (catholique, orthodoxe et protestante), du judaïsme, de l’islam, du bouddhisme. Ils appellent (lien vers la déclaration) « nos concitoyens, croyants ou non, à préserver et cultiver les relations fraternelles qui lient les uns aux autres dans le respect et l’attention mutuelle ; à rejeter fermement tout antisémitisme, tout racisme, tout mépris ou discours de haine et de mort ; à rechercher inlassablement la vérité et la justice en vue de la paix. »

 

Photo Mike Labrum / Unsplash

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