Comme chaque année depuis 1911, plusieurs milliers de protestants français se sont retrouvés, ce premier dimanche de septembre, à Mialet, dans les Cévennes méridionales, pour « l’Assemblée du Désert », qui renvoie au temps où seul le catholicisme avait droit de cité dans le royaume de France. Parmi ces fidèles, des Alsaciens, dont certains participent régulièrement à ce moment de recueillement et de rencontres fraternelles, mais aussi le Conseil synodal de l’EPRAL (Église protestante réformée d’Alsace et de Lorraine), conduit par son président, Christian Krieger, vice-président de l’UEPAL.
Le culte du matin, sous les châtaigniers centenaires, a été suivi de la traditionnelle fête commémorative, rappelant « plus d’un siècle d’histoire, de foi et de lutte », entre la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV en 1685 et l’Édit de tolérance de 1787, puis la liberté de conscience retrouvée grâce à la Révolution de 1789. Entretemps, il y a eu les exactions subies par les huguenots, l’église clandestine du « Désert » – référence au Livre de l’Exode – en Cévennes et Bas-Languedoc, la révolte armée des camisards autour de leur chef Rolland, le départ de 200 000 réformés vers les pays du Refuge, dont une poignée viendront de Metz en Alsace.
Figure emblématique de cette résistance, Marie Durand, sœur d’un pasteur, qui refusa d’abjurer la foi protestante, a passé 38 années avec des compagnes d’infortune dans la sinistre Tour de Constance à Aigues-Mortes. On peut encore voir la pierre où elle grava le mot « Résister ». Ces épisodes souvent méconnus en Alsace – où une certaine liberté religieuse a été respectée après le rattachement progressif à la France – sont retracés dans le musée, créé dans le Mas Soubeyran, avec la volonté de replacer cette période dans son contexte historique et plus de 2 000 objets conservés. Les cultes se faisaient souvent sans pasteurs, dans les grottes, les maisons et les forêts. La Bible était cachée derrière un miroir…
« Ce lieu de mémoire est porteur de sens et d’espérance », a souligné Vincens Hubac, pasteur de l’Église protestante unie de France (EPUdF), qui a présidé le culte, debout sur une chaire transportable et démontable, comme celles qui servaient dans la clandestinité. S’il a choisi la parabole du Semeur pour sa prédication, il a avoué – non sans humour – « ne pas trop aimer ce texte, car à juger trop vite l’autre, on risque d’exclure une partie de l’humanité ». Aussi a-t-il préféré insister sur « l’idée du salut universel qui fonde la fraternité entre les hommes », appelant l’assemblée « à partager, à être ouverte au monde, à s’impliquer pour l’écologie, car il y a un avenir à bâtir ». Au moment de la sainte Cène, distribuée par la trentaine de pasteurs en robe noire, Vincens Hubac a invité chacun à y participer, car « la pire des hérésies, c’est l’excommunication… ».
Dans son message final, Emmanuelle Seyboldt, présidente du Conseil national de l’EPUdF et pasteure, a évoqué la figure de Théodore de Bèze, né il y a 500 ans, proche de Calvin, traducteur en langue française et en rimes des 101 derniers psaumes de la Bible, achevant l’œuvre de Clément Marot. Elle s’est appuyée sur le Psaume 42, qui est « la plainte d’un homme dévasté », chanté en ouverture du culte du matin. « C’est parce que le psalmiste est au fond de l’abîme qu’il fait le saut de la foi », a assuré Emmanuelle Seyboldt, en rapprochant « les drames vécus hier et aujourd’hui ».
Citant le prophète Joël, elle s’est félicité que, face au défi écologique, thème du Synode 2020 qui va réfléchir sur la théologie de la Création, « ce sont de nouveaux prophètes qui se lèvent, et ce sont des enfants… » On peut regretter cependant, qu’à côté des deux conférences sur Théodore de Bèze par des universitaires, il n’y ait pas eu une présentation de la vision politique d’un réformateur qui, après la Saint-Barthélemy, avait évoqué la possibilité d’insurrection face aux autorités en place (lire Réforme du 29 août).
Comme les précédentes éditions, cette Assemblée du désert 2019 avait repris aussi le psaume des batailles (Psaume 68), puis l’émouvante Complainte des prisonnières de la Tour de Constance en languedocien, hommage à « ces pauvres femmes mortes pour le Christ et la liberté », et enfin la Cévenole… dont l’exhortation à servir Dieu « dans les jours prospères, comme nos pères le firent aux mauvais jours » reste actuelle. Et il n’est point besoin, pour cela, d’être Cévenol !
Yolande Baldeweck