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L'auteur Pierre Magne de la Croix

Pasteur, vice-président de l'UEPAL, président de l'Église protestante réformée d'Alsace et de Lorraine

Thème de la réflexion : Théologie et Spiritualité

Une guerre juste ?

Peut-on penser théologiquement la guerre ? Comment tenir compte de la nécessité morale de la protection des populations, notamment des plus fragiles et de cette injonction biblique « tu ne tueras point »?

J’appartiens à cette génération française qui, selon notre récit national et européen, bénéficie de 80 années exceptionnelles de paix depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Je suis reconnaissant à cette Europe où mes filles vivent en paix alors que deux de leurs arrières-grands-pères étaient en 1916 à Verdun, l’un soldat français, l’autre soldat allemand. Depuis 1945 la France a connu néanmoins deux guerres (celle d’Indochine et celle d’Algérie), plusieurs opérations extérieures, et l’Europe a été engagée sur « son sol » dans les guerres dans l’ancienne Yougoslavie. La chute du mur en 1989 marque la fin de ce qui a été appelé la guerre froide. Et on parle parfois de guerres délocalisées pour des conflits géographiquement loin.

Si au regard de l’Évangile aucune guerre ne serait justifiable, la guerre en Ukraine depuis un an rappelle que certaines causes méritent d’être défendues par les armes. Peut-on penser théologiquement la guerre ? Comment tenir compte de la nécessité morale de la protection des populations, notamment des plus fragiles et de cette injonction biblique « tu ne tueras point »? Nous invoquons souvent le cas du théologien Bonhoeffer qui décide, au nom de sa foi, de participer à l’attentat contre le dictateur allemand. Bonhoeffer est nourri de cette conviction d’un acte juste nécessaire dans des cas extrêmes.

Le récit biblique de Juges 4 raconte comment deux femmes ( ! ) vont devoir faire face à des situations extrêmes de conflits, d’injustices, de peur. L’une, la « juge » – responsable politique Déborah, va appeler à la levée des troupes pour défendre les populations opprimées. Le texte reste pudique sur la réalité des combats mais pose que « dans une situation donnée, il faut choisir la moins mauvaise solution ».

C’est l’éthique de situation : ni éthique de conviction (ne pas transgresser un principe comme « tu ne tueras point » et viser à ce que toute action soit en cohérence avec une conviction) ni éthique de responsabilité (qui a le souci du pragmatisme et cherche à réajuster les moyens aux finalités : on œuvre pour le meilleur en étant responsable de ses actes, même si « on ne fait d’omelette sans casser des œufs ») mais éthique de situation : choisir la moins mauvaise solution, dans l’urgence en ce temps-là, en ce lieu-là, dans cette situation-là ; on choisit le préférable dans une zone de décision où ce n’est ni limpide ni évident ; on n’en maîtrise pas toutes les conséquences et souvent demeure cette question : « ai-je vraiment bien fait ?».

Le récit de Juges 4 se prolonge alors dans ce récit dramatique d’une femme seule, Yaëlle, qui va défendre en tuant le chef ennemi en fuite, rappelant que le drame de la grande histoire (la levée des troupes de Déborah) se traduit aussi par des drames humains chez les personnes « petites et fragiles » poussées à des actes extrêmes pour survivre; et qui leur jetterait la pierre ?

Ce texte de Juges 4, rude et cruel, est comme bien des récits bibliques le reflet de notre condition humaine, faite souvent de bonheur mais aussi de tragédies. Les comportements de Déborah et de Yaëlle sont liés à leurs luttes dans leur situation.

Depuis un an, ces luttes et cette actualité en Ukraine entrent fortement en résonnance avec notre manière de voir nos relations dans le monde : coutumiers d’un plaidoyer sur la paix et la réconciliation, il nous faut intégrer ou réintégrer dans nos approches la référence au droit et l’exigence de la justice et de la vérité. Le verset d’Amos 5,24 « Faites jaillir le droit comme une source, laissez s’écouler la justice comme une rivière débordante », mot d’ordre 2023 de la Fédération protestante de France, interpelle avec cette piété incarnée, par une démarche religieuse qui sait faire place au droit et à la justice, une spiritualité de l’action où affleure la justice de Dieu qui rejoint l’humanité «  la fait sienne, relève celle et celui qui est tombé à terre, réintègre dans la communauté humaines celle et celui qui en était exclu, se révolte contre tout ce qui détruit l’humain, rend juste et ainsi libère de tout ce qui entrave la vie et on épanouissement »

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