10 septembre 2020

« Un cri pour de l’espoir : appel à une action décisive »

Nous relayons un appel à une action décisive en Palestine par Kairos Palestine. "Nous ne pouvons servir Dieu et, en même temps, taire l'oppression des Palestiniens"

1er juillet 2020

Nous, Kairos Palestine ainsi que la coalition mondiale Global Kairos for Justice née en réponse au Document Kairos Palestine « L’Heure de vérité : une parole de foi, d’espoir et d’amour venant du cœur de la souffrance palestinienne », nous lançons cet appel urgent aux chrétiens, aux Églises et aux organisations œcuméniques. Nous le faisons ensemble avec des chrétiens engagés en Palestine et dans le monde entier. Il s’agit d’un appel à une action décisive à propos d’une question qui, selon nous, concerne l’intégrité de notre foi chrétienne.

Nous avons atteint un point critique dans la lutte pour mettre fin à l’oppression du peuple palestinien. D’une part, l’adoption en 2018 par l’État d’Israël de la loi sur l’État-Nation a légalisé la discrimination institutionnelle en Israël et dans les territoires palestiniens. Celle-ci prive juridiquement les Palestiniens de leurs droits à la vie, aux moyens de subsistance et à un avenir dans leur patrie. D’autre part, les récents actes de l’administration américaine ont soutenu le projet persistant d’Israël de s’approprier des terres et de contrôler l’ensemble du territoire palestinien. Il s’agit notamment du déménagement de son ambassade à Jérusalem en 2018, de l’annonce faite en 2019 que le gouvernement américain ne considère plus les colonies de Cisjordanie comme « incompatibles avec le droit international », ainsi que du Plan de Paix de début 2020. Encouragé par ce soutien américain et enhardi par la réponse inefficace de la communauté internationale, le nouveau gouvernement de coalition israélien a ouvert la voie à l’annexion pure et simple d’environ un tiers de la Cisjordanie occupée, y compris la vallée du Jourdain. Ces développements montrent d’autant plus clairement que nous sommes arrivés à la fin de l’illusion qu’Israël et les puissances mondiales ont l’intention d’honorer et de défendre les droits du peuple palestinien à la dignité, à l’autodétermination, ainsi que les droits humains fondamentaux garantis par le droit international, y compris le droit au retour des réfugiés palestiniens. Il est donc temps que la communauté internationale, à la lumière de ces événements, notamment de la loi sur l’Etat-Nation, reconnaisse Israël comme un État d’apartheid au regard du droit international.

En constatant cette situation, nous nous rendons compte qu’il nous incombe, en tant que disciples de Jésus, d’opter pour une action décisive. Il en va de l’être même de l’Église, de l’intégrité de la foi chrétienne et de la crédibilité de l’Évangile. Par conséquent nous déclarons que soutenir l’oppression du peuple palestinien, que ce soit passivement ou activement, par le silence, en paroles ou en actes, est un péché. Et nous affirmons que le soutien au sionisme en tant que théologie et idéologie, qui justifie le droit d’un peuple à nier les droits humains d’un autre, est incompatible avec la foi chrétienne et constitue un grave abus de la Bible.

Nous appelons tous les chrétiens et les Églises aux niveaux paroissial, confessionnel, national et de l’ensemble de la communauté œcuménique à initier un processus d’étude, de réflexion et de confession de la foi, concernant la privation historique et systémique des droits du peuple palestinien, et l’utilisation de la Bible par beaucoup pour justifier et soutenir cette oppression.

Nous appelons les Églises à réfléchir à la manière dont leurs propres traditions expriment le devoir sacré de maintenir l’intégrité de l’Église et de la foi chrétienne par rapport à cette question. Nous ne pouvons servir Dieu et, en même temps, taire l’oppression des Palestiniens. Confrontés à ce kairos, nous sommes conscients de l’héritage de foi et d’action de ceux qui nous ont précédés et qui ont fait face à des situations urgentes de crise. En 1933, le pasteur et théologien allemand Dietrich Bonhoeffer a déclaré que le déni des droits des Juifs par le régime nazi et l’ingérence de l’État dans les questions de religion provoquaient l’Église à confesser sa vraie foi. La déclaration de Barmen en 1934 a renforcé l’obligation de l’Église de se dresser contre l’injustice et de s’opposer sans équivoque aux idéologies de tyrannie. En 1964, le premierֹ secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises (COE), Willem Visser’t Hooft, a déclaré que le racisme, tout comme l’apartheid, constituait un status confessionis, une cause de confession de foi, pour les Églises. Le COE a suivi cette prise de position en 1969 en mettant en œuvre son courageux et vaste programme de lutte contre le racisme. En 1977, la Fédération luthérienne mondiale (FLM) a déclaré que « l’apartheid mettait l’Église au défi de confesser sa foi » et, a dissous en 1984 les Églises luthériennes blanches d’Afrique australe qui pratiquaient l’apartheid. En 1982, l’Alliance mondiale des Églises réformées (ARM) a déclaré que l’apartheid était incompatible avec la foi chrétienne et a dissous les Églises membres qui pratiquaient la discrimination raciale.

En 2017, la Communion mondiale des Églises réformées (CMER) a affirmé : « Étant donné la situation d’injustice et de souffrance qui existe en Palestine, et le cri de douleur de la communauté chrétienne palestinienne, l’intégrité de la foi et de la praxis chrétiennes est en jeu », et elle a chargé le secrétaire général de lancer six mesures d’action immédiate. Enfin, depuis 2009, des Documents Kairos de diverses organisations œcuméniques du monde entier ont été publiés, en réponse au Document Kairos des chrétiens palestiniens, « L’Heure de Vérité », où ceux-ci affirmaient l’obligation de réagir et fournissaient un fondement théologique à cet appel prophétique des Églises palestiniennes.

La situation actuelle exige des actions tout aussi audacieuses, aussi motivées et aussi décisives. Le temps de la décision est arrivé. « En tant que chrétiens et Palestiniens, nous lançons un appel à nos frères et sœurs chrétiens des Églises de par le monde », peut-on lire dans le Document Kairos de Palestine de 2009. Huit ans plus tard, en 2017, dans la Lettre ouverte au COE et au mouvement œcuménique, la Coalition nationale des organisations chrétiennes de Palestine écrit : « Les choses sont plus qu’urgentes. Nous sommes au bord d’un effondrement catastrophique. Chrétiens ! ce n’est pas le moment de faire de la diplomatie futile ! » Aujourd’hui, trois ans encore plus tard, c’est un cri pour de l’espoir que nous lançons à nos frères et sœurs du monde entier. Nous invitons nos compagnons chrétiens, leurs paroisses, les Églises et les organisations œcuméniques internationales, à recevoir notre témoignage commun et à y répondre, à se joindre à ce processus de confesser notre foi, à lancer des initiatives pour rejeter officiellement l’oppression du peuple palestinien, ainsi que toute utilisation de la Bible pour justifier cette injustice, et à s’engager dans les actions suivantes :

  • Lancer des processus, aux niveaux local, confessionnel et œcuménique, qui reconnaissent le kairos actuel et la nécessité urgente d’une action décisive concernant le déni des droits des Palestiniens et l’utilisation abusive de la Bible. Ces actions témoigneront de l’unité de l’Église dans son engagement à s’opposer à l’injustice où qu’elle se trouve.
  • S’engager dans l’étude et l’analyse critique des théologies et des approches de la Bible, auxquelles on a recours pour justifier l’oppression du peuple palestinien. Et proposer par contre des théologies qui appellent prophétiquement à une vision inclusive du pays tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens, en affirmant que le Dieu créateur est un Dieu d’amour, de miséricorde et de justice ; et non de discrimination et d’oppression.
  • Affirmer le droit des Palestiniens à résister à l’occupation, à la dépossession et à l’abrogation de leurs droits fondamentaux, et rejoindre les Palestiniens dans leur résistance créative et non violente. L’appel palestinien de 2005 pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions (BDS) fournit un cadre pour des initiatives économiques, culturelles ou de recherche, et pour des actions politiques, comme autant de moyens non violents pour mettre fin à l’occupation et à l’oppression. L’objectif du BDS n’est pas de punir ou d’isoler Israël. Il s’agit plutôt d’exercer une pression sur Israël pour qu’il se conforme au droit international et d’appeler son gouvernement et son peuple, dans l’esprit de la Parole de Dieu, à s’engager dans les voies de la justice et de la paix, affirmant ainsi ses propres droits, tout comme ceux du peuple palestinien.
  • Exiger également que des gouvernements et des organisations mondiales aient recours à des moyens politiques, diplomatiques et économiques pour mettre fin aux violations par Israël des droits humains et du droit international.
  • S’opposer à l’antisémitisme en œuvrant pour la justice, et en réagissant contre l’antijudaïsme, le racisme et la xénophobie ; s’opposer également à l’assimilation de la critique des actions injustes d’Israël à de l’antisémitisme.
  • Soutenir les initiatives entre Israéliens et Palestiniens ainsi que les partenariats interconfessionnels qui luttent contre l’apartheid et l’occupation, et créent des possibilités de travailler ensemble pour un avenir commun de respect mutuel et de dignité.
  • « Venez voir » la réalité en Terre Sainte avec des yeux compatissants pour la souffrance des Palestiniens, et soyez solidaires des initiatives de la base des diverses confessions et de tous les groupes laïques qui défient l’occupation et qui travaillent pour une paix juste.

Nous lançons cet appel par souci pour l’avenir des deux peuples. Selon les termes de Kairos Palestine, notre appel s’enracine dans la logique de l’amour, laquelle cherche à libérer à la fois l’oppresseur et l’opprimé, afin de créer une nouvelle société pour tous les habitants du pays. Nous continuons à tenir fermement à l’espoir exprimé dans le Document Kairos, comme quoi les Palestiniens et les Israéliens ont un avenir commun – que « nous pouvons organiser notre vie politique, avec toute sa complexité, selon la logique de l’amour et de sa puissance, à condition d’avoir d’abord mis fin à l’occupation et établi la justice ». En tant que disciples de Jésus, nous réagissons face aux idéologies d’exclusivité et d’apartheid en défendant une vision d’inclusion et d’égalité pour tous les habitants du pays, et en luttant sans relâche pour y parvenir.

Nous reconnaissons que par notre engagement en tant que chrétiens pour la libération du peuple palestinien, nous nous opposons à la théologie de l’Empire, qui se traduit par un ordre mondial de domination, grâce à une oppression raciale, économique, culturelle et écologique qui menace l’humanité et l’ensemble de la création. Par cette confession de foi, nous soulignons notre appartenance à la communauté du pain rompu, à l’Église, qui remplit sa mission de proclamer la bonne nouvelle de ce Dieu, source d’amour, de miséricorde, de compassion et de vie abondante pour tous.

 

 

S.B. Michel Sabbah

Patriarche émérite du Patriarcat latin de Jérusalem

Président de Kairos Palestine

Rifat Kassis

Coordinateur général de Global Kairos for Justice

 

 

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