28 novembre 2023

Le protestantisme et les pasteurs entre 1940-1945

Retour sur le colloque et la table ronde des 16 et 17 novembre 2023

Un colloque pour guérir les mémoires

Les institutions se pensent souvent hors du temps, et ont donc beaucoup de mal à reconnaître leurs failles ou leurs erreurs historiques. Concernant les années 1940-45, ce n’est qu’en 1995 que la France a reconnu sa responsabilité en tant qu’État dans la déportation des juifs, par la voix du président Chirac. L’Université de Strasbourg n’a examiné son passé nazi qu’en 2022, avec le rapport sur les activités criminelles de la faculté de médecine durant cette période. L’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine a décidé en mars 2021, par la voix de son conseil plénier, de consacrer un colloque universitaire à cette page difficile de son histoire. Son président, Christian Albecker, avait soulevé la question dès 2016, sur la base du travail approfondi réalisé par l’Église protestante du Palatinat sous forme de deux volumes « Protestanten ohne Protest ». Il lui semblait en effet que les temps étaient mûrs, après plus de 70 ans, pour aborder cette période avec lucidité et objectivité. Il ne s’agissait pas de s’ériger en tribunal et de distribuer les bons et les mauvais points, ce qui est plutôt facile avec le recul de « ceux qui savent », mais plutôt de comprendre les mécanismes qui ont pu conduire à se fourvoyer dans l’hérésie nazie.

Les 250 participants au colloque « Le protestantisme et les pasteurs alsaciens-mosellans entre 1940 et 1945 », organisé les 16 et 17 novembre 2023 sous l’égide du Pr. Marc Lienhard, montrent aisément que les temps étaient mûrs. La salle était comble, du jamais vu à la faculté de théologie protestante de Strasbourg ! Ce ne sont pas moins de 18 contributions qui ont traité du sujet, depuis les antécédents (l’entre-deux guerres et les mouvements autonomistes) et les mécanismes psycho-sociologiques (« comment devient-on nazi ? ») jusqu’à l’épuration de l’après-guerre. Des parcours individuels de pasteurs et de leur famille ont été présentés. Parmi eux, la figure de Carl Maurer, président de l’Église luthérienne de 1940 à 45, pendant que le président élu en 1938 Robert Hoepfner restait dans le sud-ouest, a suscité un intérêt tout particulier. Personnage ambigu, germanophile invétéré, il a collaboré avec l’occupant nazi tout en accueillant des pasteurs allemands ayant une ascendance juive. Au total, le protestantisme alsacien aura préservé sa confession de foi, sans céder comme son Église sœur du Palatinat à l’hérésie théologique des « Deutsche Christen » qui voyaient en Hitler le nouveau messie. Il a défendu ses intérêts contre les empiètements du pouvoir nazi et sa volonté de déchristianisation. Mais il aura été silencieux sur les exactions envers les juifs et d’autres victimes de la barbarie nazie.

La table ronde organisée à l’INSP (ex-ENA) le jeudi soir portait sur le travail de mémoire et son rapport à l’histoire. Elle a réuni Géraldine Schwarz, journaliste franco-allemande, Frédérique Neau-Dufour, ancienne directrice du CERD (Centre Européen du résistant Déporté au Struthof), le pasteur retraité Gustave Koch et l’écrivain Gabriel Schoettel, avec l’animation de Jacques Fortier, ancien journaliste. Comme le soulignait Mme Schwarz, « nous ne savons pas ce que nous aurions fait à cette époque, mais nous savons ce qu’il aurait fallu faire ». C’est tout le sens que le président Albecker souhaitait donner à cette démarche, qui est loin d’être achevée : ouvrir les yeux sur le passé pour être plus lucide sur les enjeux d’aujourd’hui.

 

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Colloque en salle Pasteur, Palais universitaire Strasbourg © UEPAL