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L'auteur Robert Hertzog

Agrégé de droit public et de science politique. Membre de la Commission des affaires sociales, politiques et économiques de l'UEPAL

Thème de la réflexion : Politique

Pas de démocratie sans démocrates

L'UEPAL s'engage pour une démocratie vivante

La définition généralement admise de la démocratie est celle prêtée à Abraham Lincoln, président des États-Unis (1860-1865), reprise à l’article 2 de la constitution française de 1958 : « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Chacun comprend d’emblée cette expression qui recèle pourtant toutes les complications du sujet.

Le peuple gouverné est logiquement toute la population permanente présente sur le territoire qui doit respecter des règles communes, différenciées selon les conditions de chacun.

Gouvernement par le peuple est une formule plus problématique. Ce ne peut pas être l’ensemble de la population, même dans les formes dites de démocratie directe (initiative populaire, référendum). Pour constituer le groupe restreint des dirigeants la solution quasi universelle consiste à confier le pouvoir à des représentants, dont le mode de désignation et la nature des fonctions concentrent toutes les difficultés des systèmes politiques et expliquent leurs multiples modèles.

Les procédés destinés à choisir des gouvernants qui représentent le peuple sont d’une infinie variété. Si ce sont principalement des élections, aux mille modalités, ce peut aussi être le tirage au sort ou l’appartenance à une lignée familiale. Établies par des autorités politiques, le constituant et le législateur, elles-mêmes imparfaitement représentatives du peuple, ces procédures mélangent toutes des qualités et défauts qui interdisent de vouloir définir un régime irréprochable. Au surplus, seule une fraction du peuple participe aux élections. Et si la doctrine enseigne que chaque parlementaire est le représentant de la nation entière, dans la pratique il est celui d’un parti, d’un territoire et de ses électeurs. La représentation est donc naturellement déformée, ce qui alimente des controverses permanentes sur la légitimité des dirigeants.

Multiplier les représentations grâce à la décentralisation territoriale (conseils municipaux, départementaux, régionaux) ou fonctionnelle (conseils d’universités, d’établissements sociaux, etc.) permet de mieux coller à la diversité de la société et des affaires publiques. Un autre correctif se situe dans les mécanismes de contrôle et de reddition des comptes qui obligent les dirigeants à écouter les citoyens, encore que tous ceux-ci n’y participent pas.

Même conçus sur des principes vertueux, les systèmes de gouvernement sont imparfaits, au regard même de ces principes. Le pouvoir du peuple ne s’exerce qu’à des degrés variables qui situent les régimes politiques sur un vaste éventail de formes démocratiques.

Le gouvernement agit pour le peuple lorsqu’il suit la volonté de celui-ci, qui veut naturellement son propre bien comme l’expliquait Rousseau, qui a cependant aussi énoncé ce paradoxe : si le souverain veut toujours le bien, il ne le connaît pas nécessairement. Et comment les gouvernants peuvent-ils être certains de ce que veut le peuple ? Celui-ci est-il d’ailleurs toujours bon ? Face aux multiples intérêts contradictoires, à la complexité des affaires publiques et à la pluralité des acteurs, il est tout à la fois impossible d’être assuré de prendre les meilleures solutions et de définir un intérêt commun. L’infaillibilité de la volonté générale est un mythe ; utile et dangereux.

Il faut donc un acte de foi des citoyens qui acceptent que les décisions qui résultent des procédures suivies par les dirigeants sont le bien commun ou l’intérêt général. L’adhésion respectueuse aux détenteurs du pouvoir est un marqueur important de la démocratie, quoiqu’elle puisse se retrouver dans d’autres régimes. Un marqueur plus décisif est que la démocratie seule permet de discuter les décisions des dirigeants parce qu’elle admet qu’elles ne sont pas nécessairement les meilleurs choix.

On pourra débattre sans fin des mécanismes qui caractérisent un pouvoir démocratique, l’essentiel n’est pas là. Les mêmes institutions (élections, référendum, assemblées délibérantes, cours constitutionnelle …) peuvent exister dans des régimes autoritaires et ont parfois servi à les établir. L’histoire enseigne que la démocratie s’est développée lorsque le peuple est devenu démocrate. C’est l’apparition progressive de vertus citoyennes libérales (éducation, participation, tolérance), qui a permis l’émergence des institutions qu’on appelle démocratiques. Leurs fondations sont dans les mœurs, la culture, les modes de vie, les profondeurs des sociétés humaines, le droit n’étant que la superstructure comme dirait K. Marx. Or, beaucoup de ces valeurs sont en perdition, ce qui explique les crises, parfois les reculs, de la démocratie dans beaucoup de pays.

 

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