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L'auteur Pierre Magne de la Croix

Pasteur, vice-président de l'UEPAL, président de l'Église protestante réformée d'Alsace et de Lorraine

Thème de la réflexion : Éthique

Pourquoi toujours elles ?

Pourquoi les femmes sont-elles toujours les premières victimes de la régression des droits, des tentations réactionnaires, des situations de conflits ? Viol des femmes en « terre conquise » en Ukraine, port de la burqa désormais obligatoire en public en Afghanistan, révocation de l’arrêt Roe v Wade qui garantissait aux USA le droit constitutionnel à l’avortement, répression massive du mouvement Femme, Vie, Liberté en Iran. Dans notre Europe de l’Ouest, terre d’égalité et d’émancipation, les religions tiennent une bonne place dans la culture de la prédominance du masculin, voire dans la discrimination envers la femme.

Trois mécanismes classiques conditionnent le discours, notamment religieux, plus ou moins enfouies :

  • l’idéalisation : La femme porte et transmet des valeurs essentielles de sensibilité, tendresse, dévouement, abnégation par son rôle de mère et d’éducatrice (le mythe de Marie, la vierge-mère)
  • la stigmatisation : la femme séduite et séductrice, à l’origine de LA faute (le mythe d’Eve, archétype de la femme coupable)
  • la différence « naturelle » pour justifier une disparité des rôles. Ainsi il y a encore 2 générations, la liturgie de mariage de l’Église réformée de France invitait le mari à « aimer et protéger » sa femme, la femme à « aimer et seconder » son mari. La différence consacrait l’inégalité.

Ne sommes-nous quand même pas mieux en protestantisme ? Oui ? La Réforme accordera une place importante au travail dit féminin (!), donnant un sens théologique aux tâches alors peu reconnues, revalorisant notamment le social, l’enseignement, la santé. Des femmes de la Réforme sauront conquérir une reconnaissance nouvelle pour occuper des places où on n’était pas habitué de les voir, notamment le pouvoir et le ministère pastoral. Dans l’Église réformée de France, notre Église sœur de l’« intérieur », trois dates marquent cette évolution : 1906, droit de vote des femmes protestantes dans les associations cultuelles (donc bien avant le droit de vote des femmes en France : 1944) ; 1935, après bien des débats dans les synodes, composés d’hommes, les femmes deviennent éligibles ; 1966, les femmes sont accueillies à « tous » les ministères sans restriction.

Et le protestantisme s’engagea dans le planning familial et soutint fortement les lois « émancipatrices » d’après-guerre, lois souvent initiées par le doyen Jean Carbonnier, un protestant :

  • 1965 pour qu’une femme puisse exercer une activité professionnelle sans l’autorisation de son mari
  • 1965 aussi pour que les épouses puissent gérer leurs biens librement
  • 1967, pour la légalisation de la contraception, Loi Neuwirth
  • 1970 pour qu’une femme puisse exercer l’autorité parentale conjointement au père
  • 1975 pour la dépénalisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse,
  • 1975 pour mettre fin au divorce sanction et rétablissant le divorce par consentement …

Puis-je être fier en tant que protestant ? Oui ? Quoique !

« Mon cher papa », me disent mes filles, tu idéalises le passé ! Et il te faudrait voir les inégalités actuelles, notamment de salaires, les féminicides (146 en 2019 !) et déjà le vocabulaire que tu emplois ; tu parles volontiers de fraternité, jamais de sororité, et tu nous as appris les règles de grammaires en martelant notamment : « le masculin l’emporte sur le féminin ». De même, en français on dit « tomber » (chuter, s’écrouler, se ramasser) enceinte ; en allemand on dit : « devenir » enceinte (schwanger werden). La grammaire n’est pas innocente, elle imprime et influence le cerveau, elle prépare les comportements!

Le personnage qui me ressemble le plus serait alors – en toute modestie – l’apôtre Paul. D’un côté Paul est celui qui pose une des intuitions les plus fondamentales du christianisme, la parole d’égalité et d’émancipation : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme » (Gal 3,28). Cette trinité émancipatrice, ces 3 ni-ni de la lettre « coup de gueule » montre un Paul qui a des intuitions, des convictions résolument en avance sur son temps, un théologien qui pose des bases nouvelles pour des relations équitables et pour une vraie réciprocité entre femmes et hommes. D’un autre côté, dans d’autres écrits, le même Paul apparaît comme misogyne, confortant sa réputation antiféministe : que les femmes se taisent (1Co.14), qu’elles portent un voile (1Co.11), l’homme est le chef de la femme (Éphésiens 5) … Le contexte culturel, historique et psychologique permet aussi de comprendre. Peut-être Paul est-il aussi un pédagogue qui cherche le compromis ici et là (Tout est permis, tout ne convient pas, 1Ko.10) : Paul fera ainsi circoncire son disciple Timothée, un Grec, et demandera qu’on arrête de manger certaines viandes si cela fait chuter. Paul a, comme moi, la difficulté de traduire une conviction en pratique. Ne jetons pas trop vite la pierre à Paul, s’il a du mal à faire passer dans la pratique ses convictions car ce n’est pas toujours simple de vivre ce que l’on croit. Un Paul très humain, j’allais dire… très homme. On peut avoir des intuitions, des convictions, arrivons-nous pour autant à les vivre vraiment ? Que dit-on de nous sur notre manière de vivre par rapport à ce que nous prêchons ?

Au Collège de France, lors d’une séance de travail, l’historien Georges Duby regretta qu’aucune note ne soit prise. Il se tourna vers l’anthropologue Françoise Héritier et lui demanda : « Ma chère Françoise, pourriez-vous prendre des notes ? ». Françoise Héritier répondit : « Mon cher Georges, je ne suis pas programmée génétiquement pour écrire mieux que vous ! ». Et Georges pris du papier et un stylo.

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