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L'auteur Isabelle GERBER

Pasteure, présidente de l'UEPAL, présidente de l'Église protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine

Thème de la réflexion : Théologie et Spiritualité

Viens, Seigneur, viens !

Le Dieu des chrétiens s’est mêlé à l’humanité. Il a vécu parmi nous en Jésus Christ. Nous fêtons cet inédit à Noël. II a partagé les très bas d’une existence humaine ; il a souffert, il est entré dans la mort : Vendredi Saint.  Il a été relevé, tiré vers la vie que Dieu seul peut donner, celle qui est pleine de lumière et ne prend pas de fin : Joie de Pâques. Il nous laisse libres de l’aimer, de servir et modeler le monde. Il se retire par amour pour nous laisser mûrir et grandir. Expérience belle et douloureuse d’un Dieu Père qui nous apprend à être responsables : l’Ascension.

L’Ascension revisite la très belle et profonde idée du Tsim Tsoum développée par Rabbi Isaac Louria au XVIème siècle. Dieu se retire pour laisser le monde être monde. Nombreux ont été les théologiens et philosophes, comme Hans Jonas, à revenir au concept du Tsim Tsoum après l‘effroi de la Shoah. Alors que le monde découvre l’ampleur de l’horreur, athées et croyants éprouvent le besoin d’interroger l’absence de Dieu. Si Dieu existe, comment a-t-il pu laisser faire cela ? Pourquoi n’est-il pas intervenu ?

La réponse, si tant est qu’il y ait une réponse à ces questions, passe par la clarification du rôle de Dieu et du mode de présence de Dieu au monde.

Nous sommes sortis de la matrice divine. Nous sommes, à part entière, différents, en dehors, extérieurs à l’être et à l’action de Dieu. Notre monde est régi par ses propres lois et décisions, nous ne pouvons pas imputer à Dieu nos erreurs et horreurs comme cela nous arrange.

Dieu est-il responsable d’Auschwitz ? A–t-il inventé les chambres à gaz, les convois ferroviaires qui y menaient ?

Le monde est monde. Dieu a créé un monde autonome libre. C’est cela le Tsim Tsoum, l’affirmation que Dieu a voulu et permis l’émergence d‘une réalité qu’il n‘est pas.

La croix en est une autre image. Dieu se vide de lui-même. Tout amour est fondé sur l’autolimitation. Quand j’aime, de fait, je n’exploite pas tous mes possibles, mes actes se trouvent bordés par mes choix. Parce que je t’aime, je n’utiliserai pas la violence. Par amour, je refuse certains possibles. Je bride mon pouvoir pour servir ton bonheur. La psychologie parle de renoncement, d’altruisme, la théologie nomme cela le sacrifice. Renoncer à tous les possibles au nom d’un lien, au nom d’une alliance indéfectible. Je renonce à moi pour toi.

De même qu’un parent s’efface pour laisser s’épanouir son enfant, Dieu se fait petit pour aider l’humain à apprivoiser ses propres possibles et ses propres limites. Tsim Tsoum. Par amour, Dieu crée l’altérité. Dieu rend le monde possible, mais par amour, Dieu n’occupe pas tout l’espace. Le lien que l‘humain peut créer avec Dieu est libre, il est un possible, non une nécessité. C’est le choix de la foi. Parce que Dieu se retire du monde, l’homme devient responsable. L’éthique et l’engagement seront son horizon.

Dieu n’impose pas la réponse. Le monde est indépendant, mais il a de même la possibilité de ne pas occuper tout l’espace, et d’inviter en son sein, plus grand que lui-même ; Dieu et la transcendance. L’Ascension interroge l’Eglise sur sa maturité et son rapport au monde.

Entre déterminisme et hasard, Dieu ouvre un espace pour la contingence. Où le monde apparait comme une grâce, un luxe, une non nécessité. Où son amour et sa présence peuvent être reçus et reconnus comme une grâce.

De nombreuses toiles impriment dans notre tête une certaine image de l’Ascension. Les disciples tournent la tête et le regard vers le ciel, bouche bée. Jésus s’élève et eux, les fils d’Adam, sont bien pris dans la glaise. Ils ne comprennent pas. Ils ne veulent pas comprendre, que Jésus ne restera pas, ad vitam aeternam, à leur tenir la main.

« Tu ne vas pas nous faire ça ! Tu sais bien ce dont le monde est capable. Ne nous abandonne pas à nous-mêmes ! Nous avons besoin de toi. »

Le ressuscité les renvoie chez eux, en Galilée, dans leur quotidien. Jésus nous dit : Va, là où tu es appelé à vivre. Inutile de vénérer mes reliques. Ce que j’attends de toi c’est que tu vives le message que je te laisse. Ne reste pas embourbé ici à Jérusalem. Aucun coin de terre n’est sacré. Ne te bats pas pour des pierres, va, et de toutes les manières possibles, aime Dieu et aime ton prochain comme toi-même.

Voilà l’Eglise, voilà le monde comme Dieu l’a laissé. Les deux pieds sur terre, parfois englué, la tête tournée vers le ciel.

Reconnaitre que ma réalité a besoin de ciel, c’est l’ouvrir à ce qu’elle n’est pas.  Le génie de l’espérance consiste à creuser dans la terre une place pour le ciel, à faire en l’humanité une place pour Dieu. Vous qui regardez le ciel avec nostalgie, vous qui aimeriez que Dieu régisse le monde à votre place, faites vôtre cette question de Saint Augustin : « Existe-t-il un lieu en moi où mon Dieu puisse venir en moi ? »

Nous sommes fatigués, découragés de voir les humains s’entredéchirer, se jalouser, se tuer. Les disciples, à l’Ascension, lèvent les yeux au ciel. En Ukraine, en Russie, des milliers de vie sont déchiquetées par les drones qui inondent le ciel. Chaque jour, plus de 1000 drones impersonnels, invisibles mais bourdonnant détruisent la vie. La caméra thermique trahit un cœur qui bat qu’un autre individu, des kilomètres plus loin derrière un écran, pulvérise d’une pression de doigt.

Seigneur, aie piété !

Au Soudan, dans l’indifférence générale, plus de 100 000 personnes meurent de faim, de guerre, de violences infligées par la milice ou l’armée régulière.

Seigneur, aie pitié !

En Israël, les familles crient leur désespoir de ne pas savoir si leurs proches, pris en otage, reviendront morts ou vivants. Ils sont victimes à la fois du terrorisme, de l’antisémitisme et de l’obstination de leur propre gouvernement. Le peuple palestinien est broyé par la violence et l’injustice, acculé à la famine, appelé à la haine.

Seigneur, aie pitié !

L’Église en prière voit combien nous sommes limités, parfois même incapables de croire, d’espérer, d’aimer, de faire preuve de solidarité, d‘inventer une terre juste et vivable, belle pour chacune et chacun.

Voilà pourquoi nous avons besoin de toi.  Viens, Seigneur, viens ! Envoie-nous ton Esprit, ton Souffle, celui qui donne vie à l’Eglise, à la Pentecôte.

Que ton règne vienne, que ton Souffle nourrisse notre espérance !

crédit : Canva

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